Pour une virée à deux au bord du Mékong...
Chiang Raï, Thaïlande, le 3 janvier 2008
L'évocation même du nom Mékong suffit à ouvrir chez nous, Européens, la boîte à images orientalistes. Il faut dire qu'avec ses 4 200 km de long, son statut de frontière mais aussi de trait d'union entre les pays, le Mékong raconte à lui seul une grande partie de l'Asie.
Alors, pour partager quelques kilomètres d'intimité avec ce fleuve mythique, nous avons enfourché la non moins mythique Honda automatique, que tout backpacker qui se respecte loue pour découvrir la Thaïlande, la vraie !
Et c'est parti pour une virée à deux de 48 heures, les cheveux au vent (sous le casque) : de Chiang Raï, nous mettons le cap sur Mae Salong, petite ville d'émigrés chinois, à la frontière avec la Birmanie, porte d'entrée du triangle d'or, le triangle de l'opium. Histoire étonnante que celle de cette bourgade de 10000 habitants créée dans les années 60 par quelques soldats du 93ème régiment du Guomindang (en lutte contre le régime communiste de Pékin), fuyant la Birmanie où ils étaient devenus indésirables.
Ces soldats et leurs familles changèrent rapidement de cible : associés au seigneur shan, Kun Sa, et à son armée clandestine, ils se lancèrent dans la culture du pavot et la fabrication de l'héroïne, dérivée de l'opium. Ce n'est qu'à la fin des années 80 que l'armée thaïlandaise, assistée par des agents américains des services anti-drogue, parvint à arrêter Kun Sa et à pacifier la région.
Mae Salong a retrouvé aujourd'hui une atmosphère tranquille, digne d'un petit village chinois au coeur du Yunnan.
Nous voilà repartis à travers les montagnes du dernier contrefort himalayen sur des routes panoramiques aussi spectaculaires qu'effrayantes pour les novices que nous sommes en scooter.
Les pentes sont couvertes de plantations de thé, café, arbres fruitiers, autant de cultures de substitution en remplacement du pavot.
Et puis, ça et là, des villages de bambou ponctuent le paysage : ils hébergent les dernières tribus montagnardes de Thaïlande, en tout un peu plus de 500 000 hommes et femmes, issues d'une dizaine d'ethnies différentes, d'origine sino-tibétaine ou môn-khmer (Akha, Lisu, Mien, Hmong).
Sans nationalité reconnue, le gouvernement thaïlandais refusant de leur donner des papiers par crainte de provoquer un afflux de réfugiés en provenance de Birmanie et du Laos, ils sont condamnés à rester isolés dans leurs villages, avec pour conséquence positive (du point de vue de l'Occidental tout du moins) la préservation de leur culture et de leurs traditions.
Derniers virages : le relief s'estompe. Ouf ! Les freins de la petite Honda ont tenu bon. Quelques kilomètres encore et nous franchissons les remparts en ruine de Chiang Saen, capitale d'un très vieux royaume au Xème siècle.
Au bout d'une longue avenue ponctuée de vieux wat (temples) chancelants, le Mékong s'impose à nous de toute la largeur de son méandre. Il paresse si langoureusement dans le soleil couchant qu'il en oublie d'immerger ça et là quelques îlots sablonneux.
De l'autre côté de la rive flotte un drapeau qui nous est inconnu : c'est le Laos ! Qu'il est tentant de franchir le Rubicon pour découvrir ce pays si attachant paraît-il : quelques coups de rame et une nouvelle aventure pourrait commencer...
Nous nous efforçons de ramener notre regard sur la rive de la raison ; l'animation du quai nous fait vite oublier nos envies d'escapade laotienne. De lourdes barges battant pavillon chinois déchargent leurs produits d'importation. Un peu plus loin, des stands de massage thaï s'alignent en plein air le long du Mékong : quel lieu insolite pour un massage des pieds !
Sur le point de nous laisser tenter par un peu de relaxation, un fumet odorant nous détourne de notre centre d'intérêt initial : des dizaines de gargotes font griller à quelques mètres de là des tiges de bambou. Renseignement pris, les tiges sont en réalité remplies de plaa beuk, une espèce de poisson chat endémique du Mékong, qui cuit à l'étouffée dans le bambou comme dans une papillote. Succulent!
Le lendemain, quelque peu courbaturés par les 100 km de scooter effectués la veille, nous repartons pour une soixantaine de kilomètres à flirter avec les méandres du Mékong, dans un paysage champêtre et vallonné. Les feuilles de tabac sèchent, imperturbables, sur les bords de la chaussée.
Nous arrivons à Chiang Khong, grisés par cette course folle avec le Mékong : mauvais joueur, le fleuve nous laisse sur le carreau en empruntant un raccourci à travers le Laos.
Cher Mékong, aujourd'hui tu nous fais faux bond, mais sois certain que nous saurons te retrouver un autre jour dans un autre pays...